Pouvez-vous décrire votre nouvelle exposition au LaM ? Quelle est sa particularité ?

A. M. : L'exposition Comme si montrera des travaux récents : des dessins, des assemblages, des installations. En ce moment, j'ai tendance à intégrer des dessins à d'autres formes, notamment des éléments sculpturaux. L'idée était de présenter ces nouveaux ensembles : Requiem pour Jeanne, La revanche des animaux, Tête à tête
Je suis heureuse d’exposer au LaM. J'aime beaucoup ce musée qui présente de l’art brut. J’aime Aloïse Corbaz, Adolf Wölfli, Augustin Lesage… Je suis très sensible à ces personnes qui n'ont pas de culture artistique, qui sont véritablement elles-mêmes dans leurs travaux. Paradoxalement, plus on est soi-même, plus on est proche des autres. Plus on est dans l'individualité, plus les autres peuvent se reconnaître dans vos œuvres.

Le dessin a toujours occupé une place importante dans votre travail. Depuis quelques années, vous employez une technique proche du lavis. Que vous apporte-telle ?

A. M. : En 2019, pour des raisons médicales, je me suis tournée vers le dessin, qui est une forme d’expression plus légère, plus spontanée. J'ai commencé une série de 77 dessins à l'acrylique liquide intitulée Tête à tête, qui met en scène des squelettes.
Pendant le confinement, j’ai continué dans cette voie : c'était plus simple et plus réjouissant de dessiner. Quand on dessine, on redevient enfant. C'est ce qui me plaît. C'est immédiat. Je travaillais sur de grandes feuilles humidifiées que je laissais ensuite sécher dans le jardin à côté de l’atelier.
Un jour, quelqu’un a reproché à l'artiste japonais Hokusaï de faire un dessin en quelques secondes, spontanément, comme un enfant, et ce dernier a répondu que dessiner de cette manière n’était possible qu'après 70 ans d'expérience. Je me sens proche d’Hokusaï avec cette anecdote. Je suis une vieille enfant.

 

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Annette

Mes dessins ne sont pas faits avec des idées mais avec des désirs. Dans mes dessins, les discours et les explications sont absents.

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Annette Messager

Annette Messager

Une figure est apparue dans vos derniers dessins : Jeanne d'Arc. Elle succède aux Femen de la série de 2016. Faites-vous un lien entre les deux ?

A. M. : Je n'y avais pas vraiment pensé, mais Jeanne d'Arc, comme les Femen, est une féministe, une guerrière. Elle ne savait ni lire, ni écrire. Elle a toujours dormi parmi les hommes en gardant son armure pour ne pas se faire violer. Les Anglais ont vérifié si elle était vierge avant de la brûler.
À l’origine de Requiem pour Jeanne, il y a une image qui me fascinait enfant, une peinture assez kitsch où l’on voit Jeanne d’Arc sur le bûcher, accrochée à une immense croix. Il s’agit d’une œuvre de Leneupveu qui est au Panthéon à Paris. Je me suis également nourrie de beaucoup d’autres représentations trouvées sur Internet et dans les films sur Jeanne d’Arc de Dreyer et Bresson.
Les Femen m'ont beaucoup intéressée, car j'avais moi-même fait beaucoup de dessins sur le corps qui rappellent un peu ce qu’elles font. En 1975, dans la série Annette Messager truqueuse, j’ai dessiné sur mon corps des araignées, un fœtus, un sexe d’homme… C'était, à l’époque, une sorte de revendication à partir de mon propre corps.

 

Je me suis toujours intéressée aux arts dévalués. En tant que femme, j’étais déjà une artiste dévaluée. Faisant partie d’une minorité, je suis attirée par les valeurs et les objets dits mineurs. De là sans doute vient mon goût pour l’art populaire, les proverbes, l’art brut, les sentences, les contes de fées, l’art du quotidien, les broderies, le cinéma…

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Annette Messager

Annette Messager

 

La première salle du parcours montre des œuvres qui détournent des objets du quotidien pour les faire basculer dans un monde étrange et merveilleux. Pouvez-vous nous parler de l'installation Daily ?

A. M. : Daily montre de grands objets suspendus, des éléments du quotidien auxquels on s’accroche parfois de façon absurde comme une clé, un casque audio, un téléphone, une bague…, et des fragments de corps humains qui semblent dérisoires par rapport à ces grands volumes spectraux.
L’installation reprend certains éléments en skaï noir déjà présents dans Les spectres des couturières exposés au Musée des beaux-arts de Calais en 2015, que j’ai ensuite remaniés pour l’exposition Inextricabilia à La Maison Rouge, en 2017.
Les objets agrandis peuvent renvoyer à Rodin. Les Bourgeois de Calais, avec leur clé gigantesque, est une sculpture qui m’a beaucoup marquée lorsqu’enfant je l’ai vue pour la première fois. J’étais très impressionnée par ces hommes que je trouvais très costauds, avec leurs chaînes, à qui Rodin a donné des poses gracieuses de danseurs autour de cette énorme clé.

L’exposition montre l’une des œuvres iconiques du LaM, Faire des cartes de France. Pouvez-vous nous rappeler son contexte de réalisation ?

A. M. : L’œuvre a été réalisée en 2000, pour une exposition organisée par Jean-Hubert Martin, à Lyon, intitulée Partage d’exotismes. Elle se compose de plusieurs fragments de peluches qui dessinent la forme de la carte de France. Les yeux des animaux sont les grandes villes du pays. Ces parties de peluches sont un peu comme des ex-voto de jouets malmenés par des enfants, qui rappellent le travail que j’ai pu faire sur les fragments du corps.
L’installation est complétée par des dessins qui reprennent la forme de la carte de France et le mot « France » où la lettre « F » est distincte du reste pour faire apparaître un autre mot : « rance ». Dans France, il y a rance. C’est le genre de jeu de mots qui m’intéresse beaucoup.
Pour la signification du titre, je laisse tout un chacun chercher le sens du terme « faire des cartes de France ». Je ne la connaissais pas au moment de la réalisation de l’œuvre…

L’exposition s’achève sur La Revanche des animaux, une installation récente qui peut évoquer Sans Légende, œuvre que vous aviez montrée au LaM en 2019 ?

A. M. : Sans Légende a été montrée pendant l’exposition Giacometti au LaM. J’aime beaucoup cet artiste et son Homme qui marche, qui lui aurait peut-être été inspiré par le logo de la marque de whisky Johnnie Walker. Tout le monde n’est pas d’accord sur la véracité de cette anecdote, mais elle me semble fortement plausible, elle prouve que les artistes sont attentifs à tout ce qui les entoure.
Dans La revanche des animaux, des animaux en peluche ont envahi une ville en ruine, toute noire. Ils surmontent la Tour Eiffel, Beaubourg, Notre Dame de Paris...
Pour réaliser la ville détruite, je construis les monuments avec du carton, de la mousse, des matériaux simples, que je casse dans un second temps. Au beau milieu des ruines, il n’y a qu’un seul humain, Ken, le compagnon bête et idiot de Barbie, écrasé par un rocher… Et Pinocchio, mais le considère-t-on comme un vivant ?
Il y a aussi sur le mur des dessins d’êtres vivants qui ressemblent à des animaux mais aussi un peu à des virus.

 

L'exposition Annette Messager. Comme si est à découvrir au LaM du 11 mai au 21 août 2022.